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Le Gazoduc Transcaspien Pour la Consolidation de la Paix Dans le Caucase du Sud

Le Directeur du Programme de Sécurité énergétique Dr. Robert M. Cutler a participé le 2 février à la Conférence annuelle « Voisinages » organisée par l’Institut d’études européennes de l’Université Saint-Louis – Bruxelles, qui porte cette année le titre : Quid de l’après Covid 19 pour la relation entre l’UE et ses voisinages : compagnonnage renouvelé ou proximité distanciée face aux défis communs?

Dr Cutler y a présenté son Policy Brief qui vient d’être publié en anglais par le think-tank bruxellois Beyond The Horizon ISSG, où il est aussi Senior Research Fellow. Le présent article réproduit le texte français de son intervention orale à la Conférence. Pour plus d’information, y compris la documentation et les références bibliographiques, veuillez consulter le texte anglais, disponible aussi bien comme page régulière HTML que dans le format PDF.

Aussi pourrait-on écouter ici l’intervention de Robert Cutler où il lit le texte ci-dessous: https://youtu.be/60BzOTJU89M?t=870

Dans cette intervention je vous résume d’abord quatre sur les cinq recommandations avec lesquelles se termine le « Policy Brief ». Ensuite en guise de « Thèses », je vous fais part des points-clés par lesquels ce « Brief » commence. Enfin, je conclus avec la cinquième et dernière recommandation, qui résume aussi ces derniers points-clés.

Première recommandation. L’Union Européenne devrait prendre des mesures pour réaliser la construction des deux chaînes du gazoduc transcaspien, lequel répond au propre intérêt de l’Union en matière de transition énergétique. L’Arménie aurait la possibilité d’accepter que l’extension de la première chaîne traverse son territoire.

Argument. Le gaz de l’Asie centrale présente quatre avantages remarquables pour l’Europe que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Premièrement, c’est la seule source de gaz pour l’Europe qui n’est pas liée aux prix mondiaux. Deuxièmement, les coûts de sa production et de sa livraison sont comparables ou inférieurs à ceux du gaz russe. Troisièmement, il peut fournir des quantités suffisantes pour infléchir sur la position dominante de la russie dans le marché. Quatrièmement, il peut concurrencer l’hydrogène que la russie dit vouloir fournir à l’Union Européenne par ses propres gazoducs.

Le projet du gazoduc transcaspien (en anglais « trans-caspian pipeline », donc connu même en français par le sigle « TCP ») améliore la sécurité de l’approvisionnement, la durabilité et la concurrence. Il améliore la sécurité de l’approvisionnement, en diversifiant les itinéraires grâce à des connecteurs appropriés. Il améliore aussi la durabilité, en réduisant les émissions, en soutenant la production d’énergie renouvelable intermittente et en améliorant le déploiement du gaz renouvelable. Et il améliore enfin la concurrence, en diversifiant les sources d’approvisionnement. De toutes ces manières, il stimule également l’intégration du marché.

La Commission Européenne a déjà désigné le TCP comme projet d’intérêt commun. Sa société de promoteur de projet est bénéficiaire d’une subvention de l’Innovation and Networks Executive Agency (INÉA) de la Commission. La Géorgie a accepté en 2017 de co-financer, dans le cadre dans d’un partenariat stratégique avec l’Union Européenne, les études préalables nécessaires pour faire progresser la mise en œuvre de cette infrastructure.

Le Conseil de l’Union Européenne a souligné en 2018 le rôle-clé de la Géorgie en tant que pays de transit pour l’énergie en provenance de la région de la Mer caspienne. Le Conseil a attiré l’attention, dans sa petite phrase, au « Corridor gazier sud-européenne, y compris son extension vers l’Asie centrale et la Mer noire. » Dans cette petite phrase, « extension vers l’Asie centrale » signifiait le gazoduc transcaspien et « la Mer noire » signifiait son gazoduc complémentaire « White Stream » allant du littoral géorgien jusque dans la Roumanie.

L’Union a besoin d’une diversification gazière au plus tôt possible. L’accord intervenu il y a seulement trois semaines entre l’Azerbaïdjan et le Turkménistan pour développer conjointement le champ pétrolifère « Dostlug » dans la mi-caspienne, sur lequel ils étaient en désaccord depuis plus de 20 ans, rend superflues des solutions intérimaires telles qu’un gazoduc plus court et moins volumineux. Ce nouvel accord enlève en fait le dernier obstacle à la construction d’un gazoduc à grand volume allant du littoral turkménistanais à celui azerbaïdjanais, dont la longueur ne serait que 300 kilometres.

Deuxième recommandation. Les efforts conjoints devraient être, aujourd’hui, davantage encouragés sur la base des nouvelles réalités dans les régions du Caucase du sud et de la Mer caspienne, en particulier leur potentiel important pour la fourniture d’hydrogène bleu.

Argument. Les cinq prochaines années seront cruciales pour le Caucase du sud. Les transports et les autres liaisons de communication entre l’Arménie et la russie sont en cours d’être établis grâce à l’infrastructure existante de l’Azerbaïdjan.

Le gazoduc transcaspien peut être conçu pour être prêt pour l’hydrogène, ce qui satisferait aux besoins énergétiques de l’Union Européenne au coût le plus bas possible et sans enfreindre les principes du green deal européen. Le Turkménistan est la seule source non-russe disponible de gaz naturel (et d’hydrogène bleu) qui aurait le potentiel de rendre plus efficace et moins coûteuse la transition tout en améliorant la sécurité d’approvisionnement.

Troisième recommandation. L’Union Européenne devrait trouver des moyens de modérer l’hyper-nationalisme qui caractérise la vie politique arménienne depuis plus que 30 ans.

Argument. Il y a une chance d’augmenter la prospérité en Arménie. Alors que l’opinion publique nationale arménienne est cruciale, elle est enflammée par la classe politique du pays. Depuis le nettoyage ethnique et l’expulsion forcée d’environ deux cent cinquante mille [250,000] Azerbaïdjanais de l’Arménie en 1987, bien avant l’éclatement de la Première guerre du karabakh, la population du pays est d’origine ethnique arménienne à 99,9%.

Comme le note Jirair Libaridian, autrefois conseiller de l’ancien président arménien Levon Ter-petrosyan, la vie politique intérieure arménienne se caractérise depuis plus qu’une génération par un hyper-nationalisme fort marqué, lequel a conduit au récent désastre. Le culte officiel de personnalité autour de Garegin Nzhdeh est à la fois un symbole et un symptôme de cette malaise politique.

Libaridian, dans sa mise en accusation peut-être la plus aiguë, a diagnostiqué le comportement du gouvernement arménien, comme suit : « nous adaptons la stratégie politique à nos souhaits, à ce qui nous fera nous sentir bien dans notre peau plutôt que de prendre en considération les faits simples qui composent collectivement la réalité qui nous entoure. »

Cette vision du monde, écrit Libaridian, emprisonne toujours la société et la classe politique arméniennes, laquelle dernière reste incapable de reconnaître comment ou pourquoi la défaite s’est produite, et d’ailleurs, pour le citer textuellement une dernière fois, « incapable même de formuler des questions qui pourraient conduire à de vraies réponses ». L’Union Européenne pourrait apporter une contribution indispensable à la sécurité régionale et à la consolidation de la paix en convaincant la société et la classe politique arméniennes à voir leur voisinage tel qu’il est réellement. Il y a une contribution majeure que seule l’Union Européenne peut apporter. C’est la suivante.

Quatrième recommandation. L’Union Européenne aurait un rôle constructif unique à jouer en convaincant la classe politique arménienne et la société arménienne de reconnaître pleinement l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, comme le fait tout autre pays dans le monde sur la base du droit international, sans parler de la Première corbeille de l’Acte finale d’Helsinki de 1975, berceau de l’OSCE, ni même des quatre résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU adoptées à l’unanimité en 1993.

Argument. Même les partis politiques arméniens pro–Union Européenne étaient des défenseurs intransigeants de l’indépendance de la soi-disant « République du Haut-Karabakh » pendant la Seconde guerre du Karabakh, et longtemps bien avant. L’Union Européenne peut promouvoir cette évolution dans la perspective arménienne non seulement par ses propres activités humanitaires, mais aussi en encourageant la coopération économique avec l’Azerbaïdjan. Seule cette sorte de « thérapie de la réalité » promet de transformer la consolidation de la paix dans le Caucase du sud en une sécurité et une prospérité durables.

La conjoncture est propice pour que l’Union Européenne joue un tel rôle. Comme l’a fait remarquer le chef de la mission azerbaïdjanaise auprès de l’Union, Bakou espère un engagement plus actif des partenaires européens. L’Union Européenne elle-même, a-t-il observé, était un processus de rétablissement de la paix après la Seconde guerre mondiale fondé d’abord sur la reconnaissance des frontières physiques, puis sur la transcendance progressive de ces frontières pour créer un espace commun. « C’est le meilleur modèle pour le Caucase du sud, » dit-il, « où nous pouvons faire de même; et ce modèle, » il poursuit, « devrait être utilisé par tous les pays du Caucase du sud. »

Je tourne maintenant aux points-clés du début du « Policy Brief », que je vous présente, sur la base de l’exposé précédant, en guise de « thèses » :

            • L’Union Européenne devrait souligner les trois points principaux réussis de sa coopération bilatérale avec les pays de la région du Caucase du sud : l’énergie, la sécurité et les transports.

            • Cela inclut la construction du gazoduc transcaspien, dont le gaz de la première chaîne, dans la nouvelle situation géopolitique, pourrait transiter par l’Arménie de l’Azerbaïdjan vers la Turquie.

            • Pour l’Union Européenne, ce gazoduc améliorerait la sécurité d’approvisionnement, la durabilité et la concurrence.

            • La première chaîne du TCP permettrait à l’Arménie d’acheter du gaz au Turkménistan. Alternativement, l’Arménie pourrait être approvisionnée par le système des gazoducs géorgiens y connectés si le TCP est construit par le tracé établi Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie.

            • Le gazoduc complémentaire « White Stream », sous la Mer noire, pour la seconde chaîne du TCP, arriverait à Constanța en Roumanie pour alimenter le gazoduc Bulgarie-Roumanie-Hongrie-Autriche et d’autres connecteurs, livrant du gaz provenant de nouvelles sources, par les itinéraires de transport les moins chers, aussi à Baumgarten et à des prix concurrentiels.

            • Ainsi le gazoduc « White Stream » permettrait aussi bien une intégration accrue du marché qu’une concurrence accrue, et il faciliterait le déploiement de sources d’énergie renouvelables à plus grande échelle, tant dans l’Union que dans la Communauté de l’énergie.
            • Les efforts conjoints devraient être davantage encouragés aujourd’hui sur la base des nouvelles réalités dans les régions du Caucase du sud et de la Mer caspienne, en particulier leur potentiel important de fourniture d’hydrogène bleu.

Je vous offre maintenant la :

Conclusion sous la forme de la cinquième recommandation. Tout comme l’Union Européenne a commencé avec le charbon et l’acier par la Communauté Européenne du charbon et de l’acier, également le Caucase du sud a déjà commence avec le gaz naturel par le Corridor gazier sud-européenne. L’Union Européenne devrait s’appuyer sur ses succès établis en promouvant ce joyau de couronnement du Corridor gazier sud-européenne, que représente le gazoduc transcaspien, y compris le connecteur « White Stream » sous la Mer noire, lesquels ont toujours été considéré comme complémentaires au Corridor, et ce, dans une perspective d’hydrogène. Ce projet réunit l’intérêt de l’Union en matière de sécurité énergétique avec les intérêts politiques et économiques des pays de la région du Caucase du sud, et les peuples qui y vivent.

            • Le succès du projet du gazoduc transcaspien avec son connecteur indispensable « White Stream » améliorera la situation humanitaire dans le Caucase du sud, renforcera le prestige de l’Union dans la région et créera la base pour l’évolution d’une véritable Communauté du Caucase du sud, avec des institutions transnationales comme Bruxelles l’envisageait il y a vingt ans.

Je vous remercie.

Robert M. Cutler
Robert M. Cutler earned his doctorate at The University of Michigan after receiving two Bachelor's degrees from the Massachusetts Institute of Technology. After over a dozen years in leading universities in Canada, France, Russia, Switzerland and the United States, he expanded into policy analysis and consulting as an Energy Security and Geo-economics Specialist. He has over 20 years' experience in international energy diplomacy: advising energy firms, governments, international institutions and NGOs; framing policy and research issues and leading teams to address them, and producing briefings and analytical bulletins. He has published scores of refereed academic articles, policy articles and book chapters. He is Fellow, Canadian Energy Research Institute; Fellow, Canadian Global Affairs Institute; and Practitioner Member, Waterloo Institute for Complexity and Innovation, University of Waterloo. He is fluent in English, French and Russian. He can be reached at rmc@alum.mit.edu and tweets from @RobertMCutler.