Si les enfants libyens ont pu reprendre l’école, ce n’est pas grâce à la reconstruction de salles de classe endommagées par les bombardements de 2011. Bien au contraire, malgré la fin de la guerre il y a presque trois ans, hôpitaux, écoles et universités sont toujours en ruine, le gouvernement se concentrant surtout sur le désarmement des milices.
La nuit tombée, ce ne sont non plus les réverbères publics qui éclairent les rues de Tripoli, mais les vitrines allumées des magasins tenus par des étrangers venus profiter de l’après-guerre. Certains Libyens peuvent aussi se rajouter à ce groupe de nouveaux riches. L’augmentation des salaires, autorisée par Kaddhafi avant l’intervention de l’OTAN, a été maintenue. Le nouveau gouvernement ne cesse aussi de subventionner nourriture, pétrole, soins de santé… Ces dépenses, avec celles des salariés publics, constituent la moitié du budget national de 54 milliards de dollars. Malgré la crise économique sévère engendrée par la chute de production du pétrole (on est passé de 1,4 million de barils en janvier 2013 à 160,000 barils en septembre 2013), les Libyens peuvent se vanter d’avoir aujourd’hui plus de moyens qu’auparavant. Or, cela ne veut pas pour autant dire qu’ils sont contents du régime.
L’ancien premier ministre Mustafa Abushagur, premier à être élu suite au renversement du régime de Kaddhafi, ne resta pas plus d’un mois au pouvoir. Son successeur, Ali Zeidan, fut kidnappé en octobre 2013 par des milices libyennes. Ces dernières, nouvelles pestes de la Libye, n’auraient point apprécié ses tentatives de désarmement du pays. Responsables de la mort de l’ambassadeur américain Christopher Stevens en septembre 2012, ces milices n’hésitent point à commettre attentat sur attentat afin de conserver leurs pouvoirs dans la région. La preuve : les violences en Libye ne cesse de croître depuis l’assassinat du Colonel Yussef Ali al-Asseifar. Ce dernier, procureur militaire de la Libye, était ironiquement responsable d’enquêter sur les assassinats d’hommes politiques, de journalistes et de soldats.
Quant au « bain de sang »” qui avait tant effrayé la terre entière en 2011, il aurait finalement eu lieu, mais les auteurs étaient des rebelles. Plusieurs instances de « règlements de comptes » entre rebelles et individus soupçonnés d’être pro-Kaddhafi auraient eu lieu : emprisonnement, torture, exécution… À Tawerga, 30 000 résidents furent expulsés, leurs maisons pillées et brûlées, après avoir été accusés d’être mercenaires de l’ancien régime.
D’après le Washington Post, les nouveaux conflits armées en Libye constituent le tout dernier passe-temps de miliciens anarchistes dépités, ivres du matin au soir, tous sans emploi.
Les règlements de comptes ne se limitent pas seulement aux groupes pro-Kaddhafi et anti-Kaddhafi. Suite à la chute du régime, des tensions entre différents clans libyens se sont aussi fait ressentir. Étant donné l’absence quasi totale de programmes de désarmement ou de centralisation des milices, une méfiance croissante s’empara du pays. Certains clans s’engagèrent à nouveau dans des conflits armés, non seulement entre eux, mais aussi avec des groupes d’islamistes radicaux. En avril 2012, le Washington Post insinuera même que ces conflits ne sont qu’autres que le nouveau passe-temps de ces miliciens dépités, ivres du matin au soir, tous sans emploi.
Face à un tel chaos, de nombreuses régions revendiquent sinon l’indépendance, du moins une autonomie considérable au sein d’un système fédéral. Le futur de la Libye se dessinerait donc autour d’une division du pays en cantons en accord avec ces rivalités tribales. Or, cette option nécessite une coopération improbable entre milices gouvernantes de la région et les autorités centrales libyennes.
Certains décident alors de patienter, en espérant que le gouvernement arrivera éventuellement à neutraliser de tels groupes armés. Quelques victoires se fêtent ; le gouvernement a pu, jusqu’ici, ôter des grandes villes la plupart des points de contrôles tenus par les milices. Les ports, aéroports et passages frontaliers sont aussi, dans la grande majorité, sous son autorité. Cela étant dit, de nombreuses régions, dont Benghazi et les régions montagneuses aux alentours de Zintan, à l’ouest, demeurent sous l’emprise des milices, dont l’influence et les ressources militaires se vantent supérieures à celles de la police nationale. Selon le responsable de la sécurité à Benghazi, « aucune stratégie n’aurait encore cherché à regrouper ces milices et à les subordonner ni à la police, ni à l’armée ». Face à ces aveux difficiles, les Libyens se consolent en mots et dictons. « Avant nous n’avions qu’un seul Kaddhafi », dicte le nouveau proverbe qui fait fureur dans le pays, « mais maintenant, nous en avons des centaines ».
« Nous pouvons aujourd’hui constater la vente d’armes libyennes sur le plus grand marché noir au monde issu de trafiquants d’armes illégales […] des pirates somaliens font partie de la clientèle de vendeurs situés en Sierra Leone, au Libéria et dans d’autres pays encore »
Enfin, de nouveaux flux d’armes issues de la Libye inquiètent la communauté internationale. Suite à la chute de Kaddhafi, certains membres touaregs de ses forces armées, d’origines ethniques maliennes, ont pris la fuite, armes à la main, pour le nord du Mali où ils incitent à une nouvelle rébellion. A l’est, dans les eaux somaliennes, des pirates se seraient eux aussi procurés des armes libyennes. « Nous pouvons aujourd’hui constater la vente d’armes libyennes sur le plus grand marché noir au monde issu de trafiquants d’armes illégales », déclare Judith van der Merwe, correspondante de l’action de l’union africaine contre le terrorisme, « des pirates somaliens font partie de la clientèle de vendeurs situés en Sierra Leone, au Libéria et dans d’autres pays encore ».
En conclusion, la Libye d’aujourd’hui abriterait non seulement milices anarchistes violentes, institutions politiques impuissantes et tensions ethniques croissantes, mais serait aussi source d’un traffic d’armes illégales dont la circulation sur le continent africain, déjà prône aux instabilités socio-politiques, ne saurait rassurer la communauté internationale.