Il y a un an, à l’occasion d’une entrevue pour The Economist, Emmanuel Macron déclarait l’OTAN « état de mort cérébrale ». Il avançait notamment que les Alliés européens ne pouvait plus compter sur les États-Unis pour leur défense et que l’Europe, « au bord du précipice » devait se réveiller. Si ces propos ont généré d’intenses réactions auprès des Alliés, ils ne sont pourtant pas surprenants. En effet, la France entretient depuis bien des années maintenant une relation complexe en dents de scie avec l’Alliance, liée notamment à ses ambitions en matière de sécurité et défense européenne.
Le rejet de l’intégration
Membre fondateur, la France s’est dans un premier temps montrée favorable à l’intégration militaire et à l’idée d’une défense assurée, en grande partie, par les États-Unis. Dans l’après-guerre, la formation d’une alliance transatlantique face à la menace soviétique s’est en effet imposée comme une nécessité. Conscientes de la supériorité des capacités militaires de la puissance américaine, la France, et plus généralement l’Europe occidentale, se satisfont de l’engagement américain sur leur territoire. Ainsi, lorsque le Traité de l’Atlantique Nord est signé le 4 avril 1949, la France s’affirme comme un membre essentiel de l’Alliance et accueille des bases militaires américaines et canadiennes sur son territoire. Le Grand Quartier général des puissances alliées en Europe (SHAPE), quartier général du Commandement allié Opérations de l’OTAN, est d’ailleurs installé sur le sol français.
Pourtant, dès le début des années 1960, la France adopte une posture plus contestataire vis-à-vis de l’Alliance, endossée notamment par le général De Gaulle. Sans toutefois remettre en question l’appartenance de la France à l’OTAN, le président désapprouve l’influence américaine au sein de l’Alliance mais également en Europe, et se montre particulièrement frileux à l’égard de la présence de forces américaines sur le territoire français. Il considère que la défense française doit demeurer autonome et ne doit pas dépendre ni de l’OTAN, ni des États-Unis. Le système militaire intégré constitue alors un sujet de dissension majeur pour De Gaulle qui craint que ce système entraîne la France dans des conflits qui ne sont pas les siens et s’inquiète d’une perte de souveraineté en matière de défense.
Ces dissensions aboutissent finalement au retrait de la France de la structure militaire intégrée de l’OTAN en 1966, et en 1967, le Grand Quartier général des puissances alliées en Europe est déplacé en Belgique. Si la France demeure membre de l’OTAN en dépit de son retrait du dispositif militaire, la décision de 1966 a considérablement affaibli son poids et son influence au sein de l’Alliance, laissant alors le champ libre aux États-Unis pour renforcer leur leadership. Dans les décennies qui suivent, le rejet de l’intégration militaire survit à De Gaulle, et il faut attendre 2009 pour que la France réintègre officiellement le commandement intégré de l’OTAN. Ce retour s’effectue cependant sous certaines conditions. Premièrement, la réintégration française doit s’accompagner d’une réforme de l’Alliance et d’un accroissement de l’influence de la France qui obtient alors le commandement allié Transformation. Deuxièmement, l’OTAN ne doit pas entraver le renforcement de la défense européenne et de ses institutions.
L’Europe de la défense et les ambitions françaises
La réticence de la France vis-à-vis du système militaire intégré révèle en réalité des désaccords plus profonds concernant la nature-même de l’OTAN et de sa mission, en particulier autour du rôle de l’Alliance en Europe. Au début des années 1990, lorsque le bloc soviétique s’effondre, il fait disparaître avec lui la raison d’être de l’Alliance. Originellement conçue comme un instrument de la politique d’endiguement du communisme menée par les États-Unis et leurs alliés, l’OTAN était pour certains vouée à péricliter à la fin de la Guerre froide. La menace communiste dissolue, l’Europe n’est plus une « place à défendre », l’Alliance n’a donc plus lieu d’être. Elle parvient pourtant à se maintenir en se réinventant et en redéfinissant sa mission, notamment grâce à l’élargissement de ses prérogatives sur le plan fonctionnel et géographique.
Les années 1990 marquent ainsi un tournant dans l’évolution de l’Alliance qui se pose de plus en plus comme une institution de sécurité à échelle mondiale, une approche principalement portée par les États-Unis. Cette vision élargie de l’Alliance ne fait pourtant pas l’unanimité auprès des Alliés qui ne s’accordent pas sur ce que doit advenir de l’OTAN. Face à la vision américaine, certains États européens tels que la France, et dans une moindre mesure, l’Allemagne, le Luxembourg et la Belgique défendent une vision bien plus restrictive, celle d’une alliance défensive dont la zone d’action doit se limiter à la zone euro-atlantique.
La nouvelle direction « globalisée » que prend l’OTAN, sous l’impulsion des États-Unis, est particulièrement mal vécue par la France puisqu’elle concurrence les ambitions françaises en matière de sécurité européenne. Après la Guerre froide, la France aimerait voir émerger une communauté de défense européenne incarnée par des institutions telles que la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) et au sein de laquelle est occuperait une position de leader. Or cette « Europe de la défense » semble, dans un premier temps, incompatible avec l’« Europe atlantique » défendue par les États-Unis, qui ne sont d’ailleurs pas prêts à abandonner leur position en Europe. Un retrait de l’OTAN vis-à-vis de l’Europe induirait en effet un recul des États-Unis qui souhaitent maintenir leur statut de « puissance européenne ».
Le projet français que constitue l’édification d’une Europe de la défense n’est cependant pas suivi par ses partenaires européens et il apparaît rapidement qu’une communauté de défense européenne ne saurait se substituer à l’alliance transatlantique. Les années 2000-2010 sont ainsi placées sous le signe du renouveau pour les relations France-OTAN. Sans remettre en question son adhésion à l’OTAN, la France continue de prôner le renforcement de l’autonomie stratégique de l’Europe en matière de défense au sein même de l’Alliance atlantique. Non plus incompatibles, l’OTAN et l’Union européenne apparaissent désormais complémentaires, participant de concert à la défense de l’Europe, « la première, dans le cadre d’un partenariat stratégique historique et fort, la seconde dans le cadre d’une Europe de la défense entre États-nations. »
Cependant, l’éloignement des États-Unis avec leurs alliés traditionnels au cours des dernières années et la remise en cause des alliances par Donald Trump tout au long de son mandat ont engendré une crise de confiance au sein de l’Alliance, réactivant des tensions latentes. Les propos du président Macron de l’an dernier, enjoignant l’Europe de ne plus se reposer sur la puissance américaine et de se constituer en communauté de défense, font ainsi écho aux aspirations françaises longtemps défendues au sein de l’OTAN et qui semblent perdurer.
Pourtant, à ce jour, la France ne semble pas prête à tirer un trait sur l’Alliance avec qui elle entretient cette relation « sinusoïdale » depuis bien des années. Il reste désormais à savoir si l’arrivée à la Maison Blanche du vainqueur projeté de l’élection présidentielle américaine, Joe Biden, en janvier 2021 marquera un retour en force des États-Unis auprès de l’OTAN et permettra d’apaiser les relations transatlantiques.
Image : Le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg rencontre le président français, Emmanuel Macron (2019) par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) via Flickr. Licence CC BY-NC-ND 2.0.
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