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L’interdiction de manifestations pro-palestiniennes en France : faisons la part des choses

Photo Kenzo Tribouillard. AFP

Paris, le 17 octobre 1961. Sous le pont Saint-Michel, la Seine emporte dans ses courants sombres et complices les corps de douzaines de manifestants algériens. Quelques heures plus tôt, des dizaines de milliers d’entre eux étaient descendus dans les rues de Paris, protestant contre le couvre-feu imposé par la police française à tous les Nord-Africains de la ville. Se joint rapidement à cette première cause la contestation des actions des forces françaises en Algérie, pays qui réclamait son indépendance de la France depuis 1954. La répression brutale et meurtrière de la police, dirigée à l’époque par son préfet, l’ancien collaborateur nazi Maurice Papon, fera plusieurs centaines de blessés et jusqu’à 200 morts. Or, dans son communiqué du lendemain, Papon présentera à une presse sceptique une version des évènements ne comportant que deux morts et quelques blessés.

Cette sinistre page dans l’histoire de la Ve République sombrera rapidement dans l’oubli. À l’occasion de son 51e anniversaire, elle refait brièvement surface lorsque le président français François Hollande reconnaît de manière officielle la « sanglante répression » ayant eu lieu dans sa capitale. Reléguée aux oubliettes une fois de plus, la date du 17 octobre écourte son mutisme en refaisant la une des journaux il y a à peine deux semaines. Cette fois ci, on cherche à comparer les évènements de 1961 avec l’interdiction récente, par les autorités françaises, de certaines manifestations pro-palestiniennes.

Suite à de nombreuses incidences de violences – notamment, l’affrontement rue de la Roquette, à Paris, entre manifestants pro-palestiniens et groupes de défense juifs – le gouvernement français décide effectivement d’interdire la manifestation de soutien à Gaza, prévue le samedi 18 juillet 2014. La presse étrangère s’enflamme aussitôt : on accuse la France de racisme, de colonialisme, d’atteinte à la démocratie. En quelques heures, le gouvernement de François Hollande devient l’unique responsable de la marginalisation et de la souffrance des Palestiniens, ayant “muselé” leurs défenseurs français en criminalisant toute expression collective de solidarité.

Que les médias s’amusent à colorer leur contenu de sensationnalisme irrationnel est une chose, mais que le public soit complètement induit en erreur par rapport au raisonnement et intentions des autorités françaises est un lapsus aux répercussions beaucoup plus graves: il est donc temps de faire la part des choses. Une mise au point s’avère d’autant plus nécessaire étant donné la nature complexe et controversée du conflit israélo-palestinien, conflit qui se prête déjà à de tensions ethniques importantes en France et à l’étranger.

Rappelons que la France n’a pas interdit, et ne cherche pas à interdire, tout rassemblement pro-palestinien. Elle ne cherche qu’à proscrire les manifestations représentant un risque de trouble à l’ordre public.

Premièrement, rappelons que la France n’a pas interdit, et ne cherche pas à interdire, tout rassemblement pro-palestinien. Elle ne cherche qu’à proscrire les manifestations représentant un risque de trouble à l’ordre public – une démarche raisonnable qui diffère largement de celle « dénoncée » par la presse étrangère. Les rassemblements comprenant des trajets à haut risque, passant, par exemple, par des quartiers juifs ou à proximité de synagogues, seront les plus susceptibles d’annulation. Ceci fut le cas pour la manifestation du 18 juillet, dont le parcours entre la place de la République et celle de la Nation fut estimé trop dangereux. D’autres rassemblements aux itinéraires plus prudents furent permis et se déroulèrent sans heurts, notamment à Lyon (5 000 personnes), Saint-Etienne (1 700), Avignon (1 500) et Strasbourg (1 300).

La mise en place de telles mesures ne fut pas non plus décidée de manière non-démocratique. Au contraire, une grande majorité des Français (62 %) se serait déclarée favorable à l’interdiction de rassemblements dès lors que ces derniers représentaient un risque de trouble à l’ordre public. Certains auraient d’autant plus apprécié cette démarche pacifique étant donné le contexte de grande émotion qui s’empara de la France suite à la catastrophe du vol AH5017 (le crash d’un avion de la compagnie aérienne Air Algérie qui coûta la vie à 54 Français).

Enfin, cette décision d’interdire certaines manifestations pro-palestiniennes ne reflète aucunement une nouvelle position de la part des Français par rapport au conflit israélo-palestinien. D’après un sondage datant du 23 juillet 2014, les Français « gardent une très grande distance à l’égard du conflit israélo-palestinien, refusant à une très large majorité de se prononcer pour l’une ou l’autre des parties”. Les incidences de violences lors des manifestations résulteraient non pas de vrais conflits d’opinions par rapport à la guerre qui se déroule à Gaza, mais de tensions préexistantes entre certaines communautés musulmanes et juives de France. Ces tensions auraient même mené certaines personnes à exécuter des « quenelles » (gestes antisémites et obscènes) ou des saluts nazis – actions qui suggèrent non pas une envie de paix au Moyen-Orient, mais une montée inquiétante d’un antisémitisme en Europe. Plusieurs déplorent ce détournement d’agenda. « On est ici en solidarité avec les martyrs de Gaza et pour réclamer la paix entre Israéliens et Palestiniens », expliqua une manifestante du 18 juillet, « On n’est pas ici pour s’en prendre aux juifs ou brûler le drapeau d’un pays. »

S’il faut absolument dénoncer la France pour un acte quelconque, autant la dénoncer pour cette montée d’antisémitisme. De janvier à juin 2014, plus de 2 200 Juifs ont quitté la France. Il y a un an, ils n’étaient que 600 à faire tamponner leurs passeports. Si certains excusent leur départ en citant l’économie stagnante de la France, d’autres l’expliquent par une peur croissante de ces nouveaux mouvements anti-juifs. La restriction des rassemblements pro-palestiniens, si elle cherche à combattre de tels mouvements ou à limiter leurs dégâts, devrait donc être applaudie par une presse étrangère, et non dénoncée par des journalistes assoiffés de sensationnalisme alarmiste.

Tina Bouffet
Tina Bouffet is a Research Analyst for the NATO Association of Canada, having previously been the Program Editor for Society, Culture and International Relations. She recently graduated with a degree in International Relations and Human Rights at UCL (University College London), in the UK. Previously, Tina completed her year abroad at l’Institut d’Études Politiques de Paris, in France. Over the last few years, she has interned for a variety of organisations, including Amnesty International Israel and African Women International in Ghana. Her primary interests include international peacekeeping, conflict resolution and post-war law enforcement. She is particularly passionate about and hopes to work in the organisation of humanitarian interventions and the protection of vulnerable populations.