Centre For Disinformation Studies Thomas Turmel

La législation française sur la désinformation, un exemple à suivre ?

En novembre 2018, l’Assemblé nationale française adoptait La loi contre la manipulation de l’information. La France suivait alors les traces de l’Allemagne en se dotant d’une loi sur la désinformation adaptée aux plateformes sociales du 21e siècle. En fait, la loi française qui a été adoptée était une mise à jour, une adaptation aux nouvelles réalités de la culture numérique, de lois qui trouvent leurs origines au 19e siècle punissant des « nouvelles ou pièces […] de nature à troubler la paix publique ». L’ingérence russe dans les élections américaines de 2016 (PDF) et la publication de « Fake News » par des médias étatiques russes visant Emmanuel Macron ont sans doute été des catalyseurs de ce changement législatif.

Cette nouvelle norme légale possède deux pans. D’une part, elle vise à forcer les médias à assurer la véracité de l’information qu’ils diffusent ou qui se trouve sur leur plateforme. Tout particulièrement, l’article 11 porte sur les réseaux sociaux et constitue un effort d’enrayer le retranchement de Facebook et Twitter « derrière leur statut d’“hébergeurs de contenus.” » Ces multinationales de l’information ont en effet essayé de se représenter comme de simples babillards numériques et ont refusé de modérer le contenu présenté sur leur plateforme. D’autre part, la loi met sur pieds une instance judiciaire pour entraver la diffusion de « fausses nouvelles » qui ont souvent une portée exponentielle sur les réseaux sociaux. Pour être considérée comme fausse, la nouvelle doit être tangiblement trompeuse, « être diffusée massivement et de manière artificielle », par l’achat de publicités ou de manipulations algorithmiques, par exemple, et représenter une menace pour l’ordre public ou le processus démocratique français. La loi prévoit jusqu’à un an de prison et 75 000 € d’amende en cas d’infraction.

De plus, l’article 5 met sur pied un mécanisme par lequel le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), similaire au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), pourra empêcher un média de publier dans l’Hexagone si, entre autres, il représente un risque « à la sauvegarde de l’ordre public, aux besoins de la défense nationale ou aux intérêts fondamentaux de la Nation. » Cet article est complémenté par une discussion des entités médiatiques contrôlées par un État étranger et des mesures pouvant être prise par le CSA dans ce cas. Cette section de la législation semble pointer du doigt les médias étatiques russes, notamment RT (anciennement Russia Today), accusé d’ingérence dans plusieurs crises politiques, comme celle des gilets jaunes, et des élections françaises de 2017.

En fait, la protection de l’Institution démocratique de la 5e République est centrale à cette loi puisqu’elle prévoit une série de mesures n’entrant en vigueur que les trois mois précédant des élections. C’est-à-dire que des mesures supplémentaires (et plus sévères) sont implémentées précédant un appel aux urnes pour éviter la prolifération de faussetés, notamment sur les réseaux sociaux qui occupent une place grandissante dans les démocraties occidentales. Il est aussi fort intéressant que l’élection des représentants au Parlement européen soit incluse, il n’y a pas seulement des élections françaises à proprement parler. Donc, la place de la France dans le système supranational européen est mise de l’avant et sa protection en expose son importance pour l’Élysée. Il est probable que cette mesure ait été mise en place à la suite des différentes initiatives russes visant à créer un schisme au sein de l’Union européenne par l’entremise du Brexit.

Bien que cette loi prenne en compte plusieurs stratagèmes utilisés par des États hostiles pour influencer les élections en Occident et qu’elle tient compte de l’environnement numérique d’aujourd’hui, plusieurs groupes d’intérêts ont émis des réserves, notamment dans le milieu journalistique. Par exemple, Reporters Sans Frontières s’oppose à la notion que le CSA serait en mesure de retirer les droits de diffusion d’un média étranger s’il porte atteinte à la sécurité de la France. Ils proposent plutôt que des garanties quant à l’indépendance éditoriale soient exigées de tous les médias, français et étrangers. Ils avancent que cela empêcherait que des « pays qui se livrent déjà à des guerres de l’information » puissent clamer que la France brime la liberté d’expression et empêche la diffusion de la (dés)information qu’ils produisent.

Toutefois, le dispositif juridique créé par la législation n’a été utilisée qu’une seule fois dans un contexte considéré atypique qui ne représente pas l’intention de la loi ou son utilisation attendue. À défaut d’être jusqu’à maintenant un processus judiciaire commode, la loi est un précieux moyen de recueillir de l’information sur les vulnérabilités de chaque plateforme et de les sensibiliser à la menace que pose la désinformation. Ainsi, elle a permis d’ouvrir un dialogue entre le gouvernement et les plateformes d’hébergement, notamment les géants Facebook, Twitter et Google. Cet échange a mené à la publication en juillet 2020 d’un rapport détaillant les mesures prises par les plateformes (PDF) pour lutter contre la désinformation, comme prévu dans la loi.

Cela dit, La loi contre la manipulation de l’information adoptée en France en 2018 semble être un premier pas bénéfique pour la protection des démocraties occidentales contre les multiples impacts néfastes que les nouvelles mensongères peuvent avoir. Il reste néanmoins à voir comment cette législation pourra s’adapter aux changements de l’environnement médiatique à venir et à la mise sur pied de nouvelles stratégies d’influence, car très peu de données ont été générées jusqu’à maintenant quant à l’efficacité de la loi à traiter des cas spécifiques de désinformation. 

Image incluse: FAKE NEWS (2017), par GDJ via Wikimedia Commons.
Avis de non-responsabilité : Tous les points de vue ou opinions exprimés dans les articles sont uniquement ceux des auteurs et ne représentent pas nécessairement les points de vue de l’Association de l’OTAN du Canada.

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  • Thomas Turmel

    Thomas Turmel is a student at the Royal Military College of Canada where he is pursuing an Honours B.A. in military-strategic studies with a minor in economics. He is also studying Arabic and culture at Université Laval in Quebec City. Thomas has been active with the International Society of Military Science (ISMS) and with the Model United Nations Association at Laval. Additionally, he is a research assistant at the Institute of Intergovernmental Relations, at Queen's University at Kingston. His research focuses on hostile foreign influence on western social media and on the Canadian defence economy. He is fluent in French and English and has a growing knowledge of Arabic. Upon graduation, he will be commissioned in the Canadian Armed Forces as a Second Lieutenant.

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Thomas Turmel is a student at the Royal Military College of Canada where he is pursuing an Honours B.A. in military-strategic studies with a minor in economics. He is also studying Arabic and culture at Université Laval in Quebec City. Thomas has been active with the International Society of Military Science (ISMS) and with the Model United Nations Association at Laval. Additionally, he is a research assistant at the Institute of Intergovernmental Relations, at Queen's University at Kingston. His research focuses on hostile foreign influence on western social media and on the Canadian defence economy. He is fluent in French and English and has a growing knowledge of Arabic. Upon graduation, he will be commissioned in the Canadian Armed Forces as a Second Lieutenant.
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